Il y a des sneakers qu’on oublie de mentionner quand on parle d’icônes, tant elles font partie du décor. La Superstar d’adidas en est l’exemple parfait. Elle est là, toujours là. Ni omniprésente, ni invisible. Simplement installée, comme un vieux meuble solide qui ne bouge pas d’un centimètre quand tout le reste tremble. Un monument. Alors, quand la marque aux 3 bandes décide de relancer la machine avec une campagne ambitieuse baptisée “Superstar : The Original”, on tend l’oreille. Curiosité naturelle. Mais aussi interrogation sincère : est-ce le bon moment ? Et surtout, est-ce que ça peut vraiment parler à la génération qui a fait de la Samba et de la Gazelle ses totems du quotidien ?
Une campagne bien pensée, mais un peu trop calculée
Commençons par le début. Le dispositif visuel est irréprochable. Thibaut Grevet à la réalisation, Samuel L. Jackson à la narration, un noir et blanc très léché, des plans figés qui jouent avec le temps. Le casting est solide sur le papier : Missy Elliott, JENNIE, Gabbriette, Anthony Edwards, Teezo Touchdown, Mark Gonzales. Mais voilà, l’ensemble respire un peu trop la maîtrise. Pas de fausse note, mais pas non plus cette étincelle inattendue qui transforme une campagne en phénomène. Sur la bande son, Nouveau Western de MC Solaar. Gainsbourg samplé, juste pour rappeler que le style, le vrai, traverse les époques. On sent que tout a été verrouillé. Rien ne dépasse. Chaque plan semble prêt à être décliné en reels ou en carrousel Instagram. À force de vouloir cocher toutes les cases (icône hip-hop, égérie K-pop, skateur historique, étoile montante du rap US), adidas s’égare quelque peu. Ou plutôt, elle fragmente son histoire, la dissout dans une série d’images qui peinent à trouver un fil rouge.
Missy Elliott, une vraie
Mais s’il y a bien un visage qui donne du sens à ce projet Superstar : The Original, c’est celui de Missy Elliott. Et pas juste pour la caution hip-hop. Non. Parce qu’elle fait partie de ces rares artistes qui ont porté adidas non pas parce qu’un contrat le leur imposait, mais parce qu’elles aimaient sincèrement la marque. Au début des années 2000, Missy arborait fièrement ses adidas Superstar et ses survêtements Firebird bien avant que les marques ne parlent d’alignement d’image ou de contrat d’ambassadeur. Cette anecdote, c’est Gary Aspden, figure historique de la gamme adidas SPZL, qui l’a racontée un jour. À l’époque, la rappeuse portait du adidas par conviction. Par passion. Sans deal. Sans retombée financière. Juste parce que c’était elle. Sa présence dans la campagne “Superstar : The Original” n’est donc pas un effet d’opportunité, mais un retour logique. Une reconnaissance tardive, mais méritée. Et ça, ça sonne juste.
Pourquoi maintenant ? Le timing n’est pas anodin
Si la marque aux 3 bandes met aujourd’hui un coup de projecteur sur la adidas Superstar, ce n’est pas un hasard. Depuis trois ans, la marque surfe sur une nouvelle vague grâce aux : adidas Samba, Gazelle et Spezial. Des silhouettes casual, minimalistes, faciles à porter, propulsées par le boom du “quiet luxury” et de la tendance terrace. La Samba, en particulier, a explosé au point de devenir l’uniforme officieux d’une génération. Mais voilà, même les meilleures vagues finissent par s’échouer. Et adidas le sait. La Samba commence déjà à saturer l’espace. Trop vue, trop portée, trop clonée. La Gazelle suit le même chemin. Quant aux nouveautés, difficile d’y voir clair. La Aruku, par exemple, avait tout pour cartonner mais s’est éteinte aussi vite qu’elle était apparue. Un feu de paille. La Goukana ou Olga V1 selon les pays, vient tout juste d’atterrir, mais malgré toutes ses qualités, elle ne semble pas taillé pour devenir le prochain gros hit.
Dans ce contexte, revenir à la adidas Superstar a du sens. C’est une paire qui n’a plus rien à prouver. Elle n’est pas là pour buzzer. Elle est là pour durer. Intemporelle, la chaussure à la shelltoe a traversé les époques sans changer de forme, comme une pierre bien taillée qu’on retrouve intacte sous la poussière. Son retour aujourd’hui, ce n’est pas une nostalgie mal placée. C’est une manière de rappeler que, dans un univers où tout s’use vite, certaines choses tiennent bon.
Un héritage impossible à contrefaire
On l’oublie parfois, mais la adidas Superstar dépasse le cadre d’une sneaker. C’est un jalon. Une brique fondatrice dans le mur de la culture urbaine. Lancée en 1969, elle fut la première basket basse en cuir avec coque en caoutchouc protectrice, pensée pour le parquet. Très vite, elle a quitté le sport pour entrer dans l’histoire. Run‑D.M.C. la portait sans lacets, bien avant que Nike ne fasse rimer sneakers et storytelling. C’est avec elle qu’on a compris qu’une paire pouvait être un symbole. Aujourd’hui, la Superstar continue d’incarner cette fusion entre performance, style et identité. Et si adidas insiste tant sur “The Original”, ce n’est pas pour flatter son ego. C’est pour rappeler que l’authenticité finit toujours par faire la différence.
Une question ouverte : est-ce que le public va suivre ?
Malgré tout, la question reste entière. Cette campagne, aussi bien pensée soit-elle, s’adresse-t-elle vraiment à ceux qui portent des sneakers au quotidien ? Les ados ? Les jeunes adultes ? Les sneakerheads un peu fatigués des raffles ? L’intention est claire, mais la cible paraît floue. Loin d’un discours grand public, adidas propose ici un objet culturel, presque muséal. Un exercice de style qui pourrait ne toucher que ceux qui connaissent déjà l’histoire par cœur. Le risque est réel : que la forme prenne le pas sur le fond. Que les plans impeccables masquent l’absence de propos fort. Ou simplement que le message n’atteigne pas les oreilles qu’il faudrait. Car aujourd’hui, on n’achète pas une adidas Superstar pour faire comme les autres. On la porte parce qu’on sait ce qu’elle représente. Parce qu’elle est fiable. Stable. Elle n’a pas besoin de séduire. Elle existe déjà. Elle attend qu’on vienne la chercher, sans insister.
Le retour du Firebird : un signe ?
Dans l’ombre de la Superstar, la veste adidas Firebird fait elle aussi son retour. Coupe rétro, trois bandes et logo Trèfle, col montant. L’ensemble forme un package cohérent. Là encore, la proposition est claire. Mais on touche à un autre sujet : la nostalgie. Or, la nostalgie peut vite devenir un piège. Surtout si elle n’est pas accompagnée d’un vrai propos. D’un besoin. adidas flirte ici avec cette ligne fine entre respect de l’héritage et tentative de recyclage. Reste à voir si le public mordra à l’hameçon.
Entre ambition et incertitude
Il faut le reconnaître, adidas a mis les moyens. La campagne Superstar : The Original est bien produite. Les visages sont forts. Le propos est là. Mais il manque encore quelque chose pour faire vibrer la corde sensible. Peut-être une forme de spontanéité. Peut-être un ancrage plus clair dans le réel. Peut-être juste une phrase, une image, un détail qui donnerait envie à quelqu’un, en scrollant sur son téléphone, de se dire : “Oui, cette paire, elle est pour moi.” Pour l’instant, c’est un rappel que la Superstar n’a pas dit son dernier mot. Mais ce n’est pas encore un cri de ralliement. L’histoire, elle, ne s’écrit pas dans les studios. Elle s’écrit dans la rue. Sur les pieds de celles et ceux qui feront vivre cette paire, ou qui continueront de l’ignorer. Et ça, ni adidas ni personne ne peut le contrôler.