Pendant longtemps, le resell de sneakers, c’était un peu comme le Far West. Un monde sauvage, grisant, où le premier qui dégainait son bot raflait tout. Où un gamin de 16 ans, armé de quelques raffles et d’un compte PayPal, pouvait devenir millionnaire en claquant des doigts. Il fut un temps où revendre une paire de Jordan 1 « Chicago » était un peu comme imprimer sa propre monnaie. Où le simple fait de rafraîchir une page SNKRS pouvait faire basculer une journée, une semaine, une vie entière pour certains.
Aujourd’hui ? Disons que l’Ouest sauvage ressemble davantage à un open space triste un lundi matin.
Certes, le marché secondaire existe toujours. Les Jordan 1 « Bred » et les Travis Scott continuent de s’arracher à prix d’or. Mais en 2025, la fièvre semble être retombée. Les marges fondent, les invendus s’empilent, et les héros d’Instagram troquent leurs Lamborghini contre des Clio d’occasion. Alors que s’est-il passé ? Et surtout, est-ce si grave que ça ? Mais ce serait aller trop vite en besogne. Car à bien y regarder, le marché secondaire des sneakers en 2025 n’est ni en chute libre, ni en mode survie. Il est en pleine mue. Comme un adolescent turbulent qui découvre que la vie ne sera pas qu’une succession de « W » faciles sur StockX. Et c’est peut-être une bonne nouvelle.
Comment en est-on arrivé là ?
Pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui, il faut remonter quelques années en arrière, dans la folie post-2015.
À cette époque, les sites de revente explosent. StockX naît en 2016. GOAT commence à imposer ses règles. Les « early access« , les « drop exclusifs« , tout est conçu pour créer du manque, du fantasme, de la frustration rentable. Le modèle est simple : un produit rare, un client frustré, un intermédiaire qui rafle la mise. Nike et Jordan, maîtres dans l’art de scénariser la pénurie, tiennent la baguette. Travis Scott transforme tout ce qu’il touche en or. Kanye, dans ses meilleures années, fait de Yeezy une religion. Et tout le monde veut sa part du gâteau. À partir de 2015, l’équation était simple : une sneaker limitée = un billet de loto gagnant. Mais toute bulle finit par éclater. Ou, au moins, par se dégonfler. Problème : à force de vouloir étendre l’Eldorado, les géants du secteur ont fini par le saturer. Plus de collabs, plus de « shock drops« , plus de « restocks » que de vrais coups de cœur. L’exception est devenue la norme. Et la norme a tué l’excitation.
Ce qui a changé en 2025
À première vue, on pourrait croire que c’est juste l’économie qui a flanché. Inflation, pouvoir d’achat en berne, guerres, crises… Oui, tout cela pèse. Mais limiter l’évolution du marché de la revente à un simple contexte économique serait passer à côté du vrai sujet : le changement culturel. Aujourd’hui, presque 50 % des sorties ne prennent plus de valeur après leur mise en vente. Il ne suffit plus de cop une paire pour faire un billet facile. Il faut choisir. Parier. Accepter de perdre parfois. Bref, devenir un vrai joueur du marché, pas un simple spectateur boosté par l’algorithme. Les revendeurs eux-mêmes l’ont compris : finis les marges x2 ou x3 sur toutes les releases. Bienvenue dans l’ère du volume. Faire 10 ou 20 dollars de marge par paire, mais répéter l’opération 500 fois. Un peu comme un fast-food de la sneaker, où la qualité du burger compte moins que la rapidité à en servir 1 000 par jour. Ce changement n’est pas uniquement économique. Il est aussi culturel.
On est passé d’une vision élitiste, la chasse aux « graals », à une approche plus populaire : répondre aux besoins réels.
Comme Vernon Simms, ce revendeur à succès qui vend autant à des mères de famille qu’à des kids en quête du dernier modèle hype.
Le basculement générationnel
Il y a aussi une bascule générationnelle discrète mais décisive. La Gen Z, cette génération qui a grandi avec des iPhones greffés à la main et une conscience aiguë de l’inflation, a une autre approche de la consommation. Elle n’achète plus pour impressionner, mais pour exprimer. Moins d’ostentation, plus d’authenticité. C’est pour ça qu’on voit exploser des marques comme Hoka, On Running ou Saucony. Des marques où le récit est moins basé sur le prestige que sur l’utilité, la communauté, le bien-être. Un contre-pied presque poétique à l’obsession de la rareté. Même New Balance, longtemps moquée pour son image de « dad shoes », surfe sur cette vague générationnelle. Le style sans le snobisme. La hype sans l’arrogance.
Le paradoxe marketing : tuer la rareté pour survivre
Ironie suprême : ce sont souvent les mêmes marques qui ont bâti leur succès sur la pénurie artificielle qui la démolissent aujourd’hui. Nike, pour ne pas la citer, a tellement multiplié les Air Jordan 1, Dunk Low et Air Force 1 qu’elle a banalisé ce qui était autrefois culte. Dans les années 90, voir une Jordan 11 Concord aux pieds de quelqu’un dans la rue, c’était presque un événement.
Aujourd’hui, même le facteur en a une paire (et honnêtement, il les porte mieux que certains influenceurs). À force de nourrir tout le monde, même ceux qui n’avaient jamais faim, le système a brisé la mécanique du désir.
Et c’est probablement ce qui explique ce recentrage du marché : moins de paires premiums, plus de compétitions sur la qualité réelle du produit.
Une évolution, pas une fin
Il serait tentant de décréter la mort de la revente de sneakers. Certains le font déjà, un peu trop vite, un peu trop fort. Mais la vérité, c’est que le marché ne disparaît pas : il se démocratise. Il devient plus intelligent, plus exigeant, plus réaliste. Certes, il y aura toujours des ovnis : une Travis Scott x Jordan 1, une collab limitée avec un artiste hype, une édition spéciale de la Air Max 1 qui réveille les anciens. Mais pour le reste ? Le marché secondaire est en train de ressembler à ce qu’il aurait peut-être dû être dès le départ : un endroit pour satisfaire des passions réelles, pas pour spéculer sur du vent.
Un futur à inventer
Alors, comment évoluera le marché de la revente en 2026, 2027, 2030 ?
Impossible à dire avec certitude. Peut-être que la prochaine grande bulle viendra d’une marque aujourd’hui inconnue. Peut-être qu’une autre superstar du rap ou du basket rallumera la mèche de la folie spéculative. Ou peut-être et c’est une idée qui me plaît bien, qu’on va enfin réapprendre à aimer les sneakers pour ce qu’elles sont. Pas pour leur cote sur StockX. Pas pour leur valeur de revente. Mais pour leur histoire, leur style, leur capacité à nous raconter, chacun à sa façon, qui nous sommes. Le marché de la revente n’est pas mort. Il n’est même pas malade. Il est juste en train de grandir. Et franchement, c’est peut-être ce qui pouvait lui arriver de mieux.
Source : Footwear News
Photo de la couverture : @nurse_kicks