Il y a des paires qui n’ont jamais eu droit aux feux de la rampe et c’est précisément ce qui les rend fascinantes. En 1992, pendant que le monde entier avait les yeux rivés sur la Air Jordan 7, Dream Team oblige, une autre silhouette faisait discrètement son apparition, loin des parquets NBA. Elle s’appelait adidas Streetball 1, elle ne brillait pas sous les projecteurs de la ligue, mais elle claquait sévère sur le bitume. Littéralement.
Le playground avant le parquet
L’époque est singulière. Le basket américain vit une sorte d’âge d’or médiatique : les JO de Barcelone, l’explosion de Shaq, le phénomène Reebok Pump. Pourtant, un autre courant gronde en souterrain : le streetball. Un basket sans règles strictes, sans sponsors visibles, sans parquet ciré. Juste du béton, de la sueur, de la tchatche et des dunks rageurs. adidas comprend ça avant les autres. Plutôt que de courtiser les stars NBA comme le font Nike ou Reebok, la marque aux trois bandes va directement là où tout a commencé : dans la rue.
Qui se souvient de ce tournoi de 1992 à Vincennes ? Les plus anciens en parlent avec une pointe de nostalgie dans la voix. Dominique Wilkins, en chair et en muscles, racontant les playgrounds new-yorkais devant un public parisien médusé. C’est dans cet esprit que naît la Streetball 1. Elle n’a pas besoin de stats ESPN pour exister. Son terrain, c’est le blacktop. Et ça se voit.
Une esthétique de l’impact
Massive, montante, un brin intimidante. La adidas Streetball 1 ne cherche pas à séduire tout le monde. Elle assume sa démesure. Avec sa bride inspirée de la adidas Forum, ses panneaux imposants et ses 3 bandes XXL, elle a quelque chose d’un tank urbain. À l’époque, elle surprend. Aujourd’hui, elle impressionne. C’est une paire qu’on ne porte pas par hasard, mais parce qu’on sait d’où elle vient.
Le plus beau, c’est qu’elle ne s’est jamais vendue sur une légende en carton. Elle n’a pas surfé sur un conte fabriqué. Elle s’est faite à l’ancienne : dans la rue, à coups de crossovers et de trash-talk. Elle a ses cicatrices, et c’est pour ça qu’on l’aime.
Du culte underground au retour en grâce
Évidemment, comme souvent avec les modèles de niche, la adidas Streetball 1 a eu droit à quelques suites. Les Streetball 2 et 3 ont tenté de garder la flamme allumée, mais sans provoquer le même frisson. Il a fallu attendre 2019 pour qu’adidas s’en souvienne vraiment, avec une version modernisée, amorti Lightstrike aux pieds. Un effort de rafraîchissement réussi, mais qui n’a pas encore recapturé l’essence brute de l’original.
Et si c’était ça, justement, le problème ? La culture sneaker actuelle veut du vintage, mais sans le grain. On célèbre les paires des années 90, mais à condition qu’elles aient foulé le parquet de Chicago ou d’Orlando. La rue, elle, reste l’angle mort des archives officielles.
Une mémoire à réparer
La adidas Streetball 1, c’est le fantôme d’un basket qu’on a voulu aseptiser. Elle raconte une époque où les marques descendaient dans les quartiers, où l’authenticité ne se mesurait pas à la quantité de paires vendues. Aujourd’hui, à l’heure où l’on redécouvre les trésors cachés des catalogues des années 90, elle mérite mieux qu’une ligne dans une base de données. Elle mérite qu’on l’ausculte, qu’on la raconte, qu’on la remette à sa place : pas au Panthéon, peut-être, mais au moins dans la mémoire collective de la culture sneaker.
Alors oui, 1992, c’était l’année de la Air Jordan 7. Mais dans certaines rues, c’était surtout celle de la adidas Streetball 1. Et si vous tendez l’oreille, vous entendrez encore le crissement des semelles sur l’asphalte.
Source : INA
Photos : @terrancekeller